MALADIES ÉMERGENTES ET ATTEINTES AUX ESPÈCES NATURELLES : ÉCLAIRAGE SUR LES « ZOONOSES »

« En quelques semaines, notre vie a changé. L’économie mondiale a connu un coup de frein sans précédent, des milliards d’êtres humains sont confinés chez eux et des dizaines de milliers sont déjà décédés du fait de la pandémie Covid-19 qui, à la vitesse des transports aériens, a gagné l’ensemble de la planète, en profitant de la multitude de ses hôtes, nous les humains » (H.Soubelet et al. 2020).
Quelles sont les origines de cette crise ? Et si l’espèce humaine était elle-même à l’origine de cette pandémie ?

Depuis déjà des dizaines d’années, les scientifiques nous préviennent des risques liés à l’apparition de nouvelles maladies en provenance des animaux. Les « zoonoses », comme sont appelées les maladies infectieuses des animaux vertébrés transmissibles à l’être humain, existent depuis longtemps et sont en augmentation constante depuis plus de 30 ans. Ce terme rassemble grippe aviaire, VIH, Ebola, SRAS, Nipah, Hendra… et aujourd’hui Covid-19.

Depuis toujours, les animaux sont porteurs d’un nombre incalculable de virus pathogènes. Ces pathogènes font partie du vivant et occupent une place fondamentale dans la vie et l’évolution des espèces. Selon la communauté scientifique, il existe par exemple plus de 320000 virus que l’on ne connait pas encore, rien que chez les mammifères (M.Bettinelli, Le Monde, 2020).

Toutefois, la nature est faite de telle sorte que ces pathogènes ne se diffusent normalement pas dans de grandes proportions entre les espèces.

C’est cette régulation naturelle des pathogènes que l’activité humaine remet en cause.

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La déforestation, la conversion d’espaces naturels en terres agricoles, l’étalement urbain, la généralisation des transports, l’augmentation de la population mondiale, la chasse et le braconnage, la consommation d’animaux sauvages, l’exploitation des ressources… autant de facteurs de pression directs et indirects sur la biodiversité liés à l’activité humaine qui nous exposent de plus en plus aux maladies « zoonotiques » (dernier rapport de l’IPBES).

En effet, en détruisant les espaces naturels et les écosystèmes, l’homme réduit l’habitat de certaines espèces sauvages et entre en contact, directement ou indirectement, avec des espèces qu’il n’aurait jamais dû rencontrer. Notons que la majorité des maladies ne peuvent pas se transmettre directement de l’espèce sauvage à l’espèce humaine, mais doit utiliser des « espèces relais » : le virus passe d’une espèce à l’autre et mute aléatoirement. L’une de ces mutations peut être adaptée à l’homme et la transmission aux humains est alors possible. Les animaux domestiques et notamment les élevages sont souvent des « espèces relais » pour l’homme.

Par exemple, en Malaisie, le virus Nipah était présent chez les chauves-souris, qui avec la déforestation ont perdu une partie de leur habitat naturel. Elles sont alors entrées en contact avec les élevages de porcs, qui avaient pris la place de la forêt, et ont contaminé les porcs, qui eux ont contaminé les éleveurs. On a rapidement décompté une centaine de morts et dû abattre plus d’un million de porcs.

Il est alors facile d’accuser les espèces sauvages de « danger » pour l’espèce humaine. Toutefois, « nous ne pouvons pas nettoyer au Kärcher tous les micro-organismes qui nous entourent, on en a absolument besoin », nous dit Philippe Grandcolas, écologue, chercheur au CNRS et directeur de laboratoire au Muséum national d’histoire naturelle de Paris. Plus encore, la biodiversité constitue un rempart contre les pathogènes et favorise un « effet de dilution » qui protège l’espèce humaine.

Au contraire, c’est l’activité humaine qui nous expose de plus en plus à ces risques pathologiques.

Lors de l’épidémie de Nipah, par exemple, les cochons n’auraient jamais dû se trouver en Malaisie, et encore moins au contact des chauves-souris, jusque-là dans la forêt : dans cette histoire ce n’est donc pas la chauve-souris le problème, mais les choix humains de développement économiques qui ont favorisé ces contaminations.

« On est en train de modifier en profondeur les interactions entre la faune sauvage et ses propres pathogènes et de détruire l’autorégulation des écosystèmes qui maintenait la circulation des virus à bas bruit. » (Serge Morand, chercheur au CNRS-Cirad).

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Aujourd’hui, avec l’augmentation de la population, le développement de l’élevage industriel à l’échelle mondiale et la destruction de la biodiversité, la biomasse des mammifères et des oiseaux ne représente que 5,6% de la biomasse des humains et de leurs animaux d’élevage. Ainsi, « si un pathogène doit passer d’une espèce à une autre, dans, ou à proximité, d’un milieu anthropisé, il a statistiquement beaucoup plus de chance d’infecter un animal d’élevage ou un humain qu’un autre animal sauvage du fait de ce déséquilibre considérable dans les abondances et la densité de leurs populations respectives » (H.Soubelet et al, 2020). Ajoutons que la densité de population humaine et la multiplication des déplacements favorisent la propagation rapide des pathogènes chez les êtres humains.

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Finalement, ce sont les choix humains et le mode de fonctionnement de nos sociétés capitalistes, qui développent l’économie industrielle mondiale au détriment de la nature et de la biodiversité, qui contribuent au développement de maladies. Cette crise sanitaire nous invite donc à questionner notre mode d’organisation et de production, pour éviter une reproduction de scénarios similaires, voire bien plus catastrophiques, dans les années à venir.

Ce questionnement de nos modes de vie passe notamment par la remise en cause de nos déplacements, de nos modes de production agricoles intensifs et de notre consommation, sa réduction et sa relocalisation vers des produits plus locaux et durables. Il passe aussi, à plus grande échelle, par une préservation de la biodiversité (plus d’espaces protégés, moins de pression hors des espaces protégés) et l’arrêt de la destruction des écosystèmes à l’échelle mondiale.

Comme le souligne Marc Bettinelli, « le coronavirus, c’est le résultat de nos modes de vie à tous », libre à nous de les faire évoluer.

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Sources :
– Hélène SOUBELET, Jean-François SILVAIN, Aurélie DELAVAUD, François SARRAZIN, Sébastien BAROT, « Covid-19 et biodiversité: vers une nouvelle forme de cohabitation entre les humains et l’ensemble des vivants non-humains », Note de la Fondation pour la Recherche et la Biodiversité et de son conseil scientifique, Avril 2020.
– Marc BETTINELLI, « Comment l’humanité déclenche des pandémies », vidéo, Le Monde, avril 2020
– IPBES (2019), Global assessment report on biodiversity and ecosystem services of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. E. S. Brondizio, J. Settele, S. Díaz, and H. T. Ngo (editors). IPBES secretariat, Bonn, Germany.
– Nicholas BELL, « Détruire les écosystèmes et récolter les virus, revue de presse sous confinement », Mediapart, 26 avril 2020